FACEb #21 - Il n’y a que la vérité qui compte
L’esprit a besoin d’intelligence, pas de futilité ; quand l’éducation prime sur la régulation ; vive le rire des enfants ; la vérité triomphe toujours du mensonge ; embarquez, on vous guide.
Se souvenir des belles choses.
Connaître l’IA c’est déjà mieux la comprendre.
On peut rire de tout, même du cancer.
Du temps de cerveau disponible contre les fake news.
EH, DITES, OH !
Se souvenir des belles choses
Rendons grâce à la littérature qui, en toute occasion, contribue à l’amélioration de la société en développant l’esprit critique et notre rapport au monde. Parmi les nombreux ouvrages parus ces dernières semaines, l’adaptation en bande dessinée par Manu Larcenet de La Route, le célébrissime roman postapocalyptique de Cormac McCarthy, mérite toute votre attention. La performance artistique de l’auteur, en tout point saisissante, vous incite littéralement à lire ses dessins, leurs traits remplaçant les mots de McCarthy.
Dans ce récit composé de peu de dialogues où l’on suit les pérégrinations d’un père et de son fils dans un monde en cendres, une phrase adressée par le premier au second vous percute de plein fouet : « Réfléchis à ce que tu mets dans ta tête, parce que ça y restera pour toujours ». Elle n’a l’air de rien, mais c’est pourtant la seule information qui apparait au dos de l’album. Si bien qu’elle résonne comme un avertissement qui nous est adressé à nous aussi, lecteur et citoyen du monde.
Cette phrase fait écho au thème que nous abordons dans cette nouvelle édition de FACEb avec le journaliste Thomas Huchon : la valeur de l’information et la menace que la désinformation fait peser sur notre société.
L’essor de l’intelligence artificielle et les manipulations d’opinion qu’elle rend possible ne cessent de nourrir les peurs et les fantasmes des citoyens vis-à-vis des nouvelles technologies. Le terreau est malheureusement fertile, comme le souligne la récente étude de l’Arcom « Les Français et l’information » : 42% des sondés estiment que l’on peut s’intéresser à des informations sans chercher à savoir si elles sont vraies ou fausses. Comme l’indique l’étude, cela ne signifie pas que les Français sont indifférents à la fiabilité́ des informations, mais qu’ils délèguent la vérification aux sources qu’ils connaissent et choisissent, et consentent à cet effort seulement pour certaines catégories d’informations spécifiques.
Or, ce réflexe devrait être systématique. Car dans un monde où, chaque jour, plus d’une centaine d’événements sont relatés par les médias, nous en retenons souvent des anecdotiques, parfois des trompeuses mais aussi, et, c’est plus grave, nous en loupons de capitales qui appauvrissent notre jugement. Or s’il est une vérité que chacun doit avoir en tête, c’est que la valeur de l’information est un enjeu stratégique : celle dont on se nourrit pour comprendre et décider, celle que l’on partage pour analyser et débattre, celle que l’on diffuse, pour apporter des éclairages clés et tenir ses positions.
Dans La route, Cormac McCarthy prolonge l’avertissement précité du père à son fils par ce terrible constat : « On oublie ce qu’on a besoin de se rappeler et on se souvient de ce qu’il faut oublier ».
Il ne fait aucun doute qu’un sursaut collectif est aujourd’hui nécessaire pour que cette sentence demeure du domaine de la fiction, et que l’on souvienne – autant que faire se peut - des belles choses.
C’EST DIT
Face à l’AI, une seule doctrine : « education first »
À l’heure où l’agence officialise le lancement de Brainsonic.AI, notre entité dédiée à la maîtrise des intelligences génératives auprès des équipes marketing et communication, nous revient en mémoire les propos stimulants tenus par Justine Cassell, professeure et chercheuse américaine, passionnée par la conversation entre humains, l'interaction humain-machine et la narration.
Invitée de l’émission Thinkerview en décembre dernier, en compagnie du mathématicien Cédric Villani autour du thème « IA : notre future assistant ou nouveau maître », elle y faisait cette confidence : « au sujet de l’intelligence artificielle, je suis anti-régulation et pro éducation ».
Plus qu’un simple avis personnel, il faut y voir un credo. Car Justine Cassell croit profondément aux vertus de l’apprentissage. Par éducation, elle entend le droit à acquérir un savoir qui va bien au-delà de la maîtrise des notions de prompt et intègre l’économie, la sociologie, l’anthropologie, la philosophie des technologies dans leur ensemble. Tout cela au service d’une ambition : « former des générations qui réfléchissent avant d’aller dans le mauvais sens ».
Réfléchir avant de s’engager dans une voie incertaine, voilà bien une conduite qui permettrait d’éviter bon nombre de désillusions à celles et ceux qui envisagent de dompter l’IA. Face aux enjeux business et organisationnels que représentent l’intelligence artificielle, le plus gros risque pour les entreprises serait d’ignorer cette technologie et de se laisser distancer.
C’est justement le sens de la création de notre offre Brainsonic.AI, initiée par Mathieu Crucq, notre Directeur Général en charge de l’Innovation, convaincu que la meilleure façon de faire évoluer les mentalités est d’éduquer son entourage. À commencer par ses propres équipes.
C’est pourquoi nous avons pris notre temps avant de lancer cette offre. Après dix-huit mois d’exploitation intensive, nous considérons aujourd’hui les technologies GenAI comme des outils au service de quatre piliers : la productivité individuelle ; la simplification des processus et de la production ; de nouvelles expériences utilisateurs ; la création.
Brainsonic.AI se compose d’une équipe resserrée en charge de la veille intensive, des POCs créatifs et technologiques, du suivi des projets GenAI en complément des équipes opérationnelles de l’agence. Ce que nous “vendons”, ce n’est pas la connaissance de toute l’actualité AI, mais bien un partage d’expérience très concret de son utilisation intensive au sein des métiers d’une agence de 140 talents, et de la manière dont nous avons opéré cette transformation. « Nous sommes des experts métiers augmentés par l’AI, pas des experts AI, insiste Mathieu Crucq. Notre ambition est de repartir de la base, tordre le cou aux idées reçues, comprendre comme ces technologies fonctionnent et pourquoi la démocratisation arrive aujourd’hui. Revenir sur les enjeux légaux, éthiques, et les impacts sociétaux à anticiper dans les prochains mois ».
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Quand on vous dit que l’apprentissage de l’IA par individu est un enjeu fondamental, ce n’est pas une intuition au doigt mouillé. Selon un sondage mené par l'institut Viavoice pour l'entreprise SII, plus d'un sondé sur deux a déjà testé ChatGPT... sans savoir ce qu'est l'IA générative.
Ainsi selon ce sondage, il n'y a que 19% des Français qui affirment avoir déjà testé un des outils d'intelligence artificielle générative, et 6% seulement l'utiliser régulièrement pour leur usage personnel. « On a d'un côté les politiques qui veulent faire de la France un champion de l'IA et d'un autre côté cela a du mal à toucher une partie de la population » explique Guillaume Leprince, responsable des solutions et des offres data et IA chez SII. Plus embêtant, parmi ceux qui n'ont jamais utilisé cette technologie, 75% n'ont pas l'intention de changer de cap. Sans doute est-il temps de remettre le slogan « L’essayer, c’est l’adopter » au goût du jour.
Le refus d’intégrer l’IA à son mode de vie se justifie souvent par la crainte de voir l’homme un jour ou l’autre dépassé par elle. Difficile de rassurer les « Anti IA » quand on apprend que celle-ci dépasse désormais les facultés des humains dans presque tous les domaines. Tel est le constat dressé par le rapport annuel Ai Index de l'Institut pour l'intelligence artificielle centrée sur l'humain (HAI) de l'université de Stanford. Il en ressort que l'IA devient tellement performante que les bases de référence sur lesquelles elle était jugée sont désormais obsolètes. Il faudrait donc mettre au point de nouveaux tests, ne serait-ce que pour trouver les domaines où les humains ont encore un avantage. La prise de tête, par exemple ?
Nous serons bientôt tous des êtres augmentés paraît-il, fruit de l’hybridation de notre intelligence humaine et de l’intelligence artificielle. Serons plus heureux pour autant ? Les scientifiques affirment en tout cas qu’une dépendance excessive à l’égard de la vue et de l’ouïe, telle que nous la subissons avec l’usage des objets numériques, a un effet néfaste sur le bien-être des personnes et que nos appareils devraient offrir une expérience multisensorielle bien plus aboutie. L’odorat serait une piste à creuser. Bien qu’il soit un indice très important pour la communication sociale il n’est mis en œuvre dans aucune technologie que nous utilisons aujourd'hui. La réalité immersive a de beau jour devant elle, mettez-vous au parfum…
Les paroles des chansons sont-elles plus négatives qu’avant ? C’est ce que semble indiquer une étude publiée fin mars par une équipe de scientifiques austro-allemands sur l’état actuel du secteur musical. Elle suggère que les paroles de chansons sont de moins en moins riches et de plus en plus engagées. Conséquence directe de nos usages immodérés des réseaux sociaux. Si vous voulez garder la banane, c’est le moment de faire le tri dans vos playlists !
Brainstory
Le rire comme levier de collecte de fonds
Il parait que le rire est un désinfectant. La formule est jolie, mais nous savons qu’un savant dosage est nécessaire pour soulager la douleur ou soigner la maladie : trop léger, il est inefficace, trop fort, il est malvenu.
Autant vous dire que nous marchions sur des œufs lorsque nous sommes allés présenter notre reco aux dirigeants de l’association Tout le monde contre le cancer pour orchestrer leur première grande campagne d’appel aux dons programmée à l’occasion de la journée internationale du cancer de l’enfant, le 15 février dernier. Pour ne rien vous cacher, nous avions même prévu un plan B au cas où notre première idée serait retoquée. Nos craintes auraient pourtant dû être atténuées par le credo affiché par l’association pour qui le moral contribue à la guérison : « tant qu’il y a de la joie, il y a de la vie ».
Spécialisée dans la création de moments festifs, joyeux et fédérateurs pour donner de la force aux malades du cancer et leur entourage, Tout le monde contre le cancer fait du rire le meilleur remède contre le découragement. Elle organise chaque année plus de 1 000 actions dans les hôpitaux partout en France, pour les malades et leur entourage.
Seulement, vouloir faire rire est une chose, être drôle en est une autre. Pour être sûrs d’adopter la bonne posture, les équipes créatives de l’agence ont donc pris le parti de donner la parole aux enfants malades. « Après tout ce sont eux qui sont les plus à même de se moquer de la maladie » confient Sébastien Combemale, directeur de création chez Brainsonic.
La campagne s’appuie sur une série de punchlines de cour d’école qui cassent les codes du secteur et font souffler un vent de fraicheur sur un sujet plombant : « Le cancer, il fait des prouts dans les fesses »,
« Le cancer, c‘est une grosse crotte de nez poilue ». Un joli pied de nez adressé à la maladie qui s’est affiché sur le réseau JC Decaux, MédiaTransports et SoLocal, ainsi que sur Doctissimo durant tout le mois de février.
« Nous avions conscience de jouer avec la limite de ce que l’on peut se permettre dans l’espace public, poursuit Sébastien Combemale, mais c’est selon nous une prise de parole très forte, à l’instar de ces campagnes qui contribuent à faire évoluer notre regard sur la maladie et à ne plus faire du cancer un mot intouchable dont on n’aurait pas le droit de se moquer », conclut le directeur de création de l’agence.
RADAR
“ Le problème ce n’est pas l’IA, ce sont les réseaux sociaux. Avec un tel outil on peut fabriquer beaucoup de bêtises, et en soi ce n’est pas grave. Ce qui est grave c’est qu’on puisse les diffuser. ”
La montée en puissance de Brainsonic dans l’exploitation des intelligences artificielles génératives nous force à réfléchir aux conséquences que celles-ci vont avoir dans l’exercice de nos métiers, mais également dans son utilisation à grande échelle auprès du grand public. C’est pour cela que nous sommes engagés aux côtés de Thomas Huchon, journaliste et auteur spécialiste des fake news et théories du complot.
En collaboration avec lui et Science Po Paris, nous produisons AntiFakeNewsAI, un format court exploitant la technologie de génération d’avatars pour débunker au plus tôt les fakes news. Thomas nous partage l’ambition de ce partenariat.
Comment est née votre collaboration avec Brainsonic ?
T.H. : Par la rencontre de Mathieu Crucq, son Dg, en octobre 2023 lors d’une conférence organisée par Cision sur l’impact de l’IA sur les relations médias et les métiers de la com. En substance, il y tenait le rôle du pro IA quand je me montrais beaucoup plus sceptique sur son usage. Mais ses arguments m’ont amené à réfléchir car j’en avais marre de vider la mer à la petite cuillère. Nous avons finalement convenu qu’en mêlant le savoir-faire de l’agence et mon expertise sur l’univers de la désinformation, nous pourrions accoucher d’un projet intéressant.
Quelle est l’ambition d’AntifFakeNewsAI ?
T.H. : L’idée n’est pas d’utiliser l’IA pour lutter contre les fakes news ou faire de l’investigation, mais de produire plus rapidement des contenus anti-désinformation afin d’être dans la même temporalité que le mensonge.
Vous voilà devenu partisan de l’intelligence artificielle ?
T.H. : Je ne suis pas devenu pro IA comme par magie. Je l’utilise parce que c’est un outil qui m’aide à être plus efficace dans mon combat contre la désinformation. Mathieu Crucq a raison lorsqu’il dit que pour comprendre les méfaits de l’intelligence artificielle, il faut commencer par l’utiliser. Pour gagner, je me dois d’utiliser les armes de ceux que je combats. Ma conviction est qu’il faut arrêter de fabriquer l’information qu’on veut lire et fabriquer l’information que les gens veulent consommer. Si c’est sur les réseaux sociaux que la conversation avec les jeunes a lieu, c’est là que je veux être. En gros je vais arrêter d’essayer de leur faire lire « Le Monde » et de regarder Arte, et porter des messages qu’ils sont prêts à écouter.
AntiFakeNewsAI rencontre-t-il son public ?
T.H. : On approche les 50 000 vues sur Instagram avec un compte qui a 2 800 abonnés. C’est encourageant, mais le programme débute à peine. L’idée est de sortir au moins deux contenus par semaine pour occuper le terrain et capter un maximum d’audience de façon régulière.
Utilisez-vous l’IA pour identifier les fakes news ?
T.H. : On ne le fait pas mais je n’y suis pas opposé. À terme, cela permettrait d’être encore plus performant dans la collecte des données et l’aiguillage journalistique. Ma conviction est qu’on finira par travailler avec des entreprises qui développent ce genre d’outils et créent des machines à aspirer les fake news sur les réseaux sociaux en mode machine learning, en se basant sur un corpus de mots clés de base qu’on améliorera chaque semaine.
Saurez-vous distinguer le vrai Thomas Huchon du faux Thomas Huchon ?
La peur que suscite l’intelligence artificielle vous semble-t-elle légitime ?
T.H. : Comme toute évolution technologique, elle suscite autant de craintes que de fantasmes. Mais le problème ce n’est pas l’IA, ce sont les réseaux sociaux. Avec un tel outil on peut fabriquer beaucoup de bêtises, et en soi ce n’est pas grave. Ce qui est grave c’est qu’on puisse les diffuser. L’urgence aujourd’hui est de faire en sorte que celui qui diffuse une information soit responsable de ce qu’il édite.
Les entreprises sont-elles des cibles idéales en matière de déstabilisation par usage de l’AI ?
T.H. : C’est incontestable, le nombre de victimes de campagne de désinformation en atteste. Désormais les fake news touchent tout le monde, ce n’est plus un délire d’happy few sur Internet. Une partie de dirigeants d’entreprise l’a compris. Mais la plupart des marques devraient y être beaucoup plus sensibles. Comme j’aime le répéter, de vrais complots ont fait l’histoire, et aujourd’hui ce sont les faux complots qui pourraient la marquer.
C’est fini pour ce mois-ci. Mais puisque FACEb n’a pas l’habitude de la mettre en sourdine, rendez-vous au prochain épisode.
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